Virus: l’insoupçonnable immunité du paresseux 

À l’heure où tout s’accélère, où l’anthropocène n’est plus un fantasme mais une réalité, la phrase de Montaigne a-t-elle encore un sens ? Le monde est-il toujours cette « branloire pérenne » dans laquelle la résilience permet cette stabilité homéostatique propre à tout être vivant ? Rien n’est moins sûr et la crise que nous traversons à l’heure où ces lignes sont écrites semblent nous le démontrer. Pourtant, pour qui sait lire entre les mots, les faits, les gestes… ce chaos, vu à travers le prisme limitant d’une cosmovision anthropocentrique n’est que subjectif et, de facto, relatif. Tout est question de perspective : ces virus qui sèment la terreur et nous contraignent à rester cloîtrés dans nos foyers ont leurs raisons d’être, leur place et leur fonction, comme tout être vivant.

Le passage d’un paresseux à gorge brune (Bradypus variegatus infuscatus) sur une Cecropia est l’une des meilleures opportunités pour repérer cet animal si discret, ici au Sani Lodge dans l’Amazonie équatorienne. – Xavier Amigo

 

À l’heure où chacun, dans sa course à la vie, se doit d’évoluer pour subsister, d’avancer pour ne pas tomber, le vivant s’ingénie à déployer toute sa créativité, faisant preuve d’une extraordinaire capacité d’adaptation sur de longues périodes d’évolution. Ces dernières ont permis à certaines espèces d’occuper des niches écologiques et d’adopter des comportements d’une totale contre-intuitivité anthropique. D’où l’importance, une fois de plus, de la perspective. Soucieux de faire comprendre au lecteur les limites de cette pernicieuse vision autocentrée, quoi de mieux que l’utilisation, à fin didactique, d’une bonne vieille analogie ?

En cette époque de confinement l’exemple du paresseux est on ne peut plus approprié pour faire l’éloge d’un immobilisme léthargique et illustrer mes propos. Mais ne nous y méprenons pas, car malgré leurs apparentes indolences, la vie et plus particulièrement la biologie de ces animaux néotropicaux, est plutôt trépidante. Avec seulement quelques respirations par minutes, un temps de sommeil record et une diète d’apparence peu variée et contraignante, comment fait cette grosse peluche à l’aspect inoffensif et au sourire débonnaire pour survivre aux multiples prédateurs qui cohabitent au sein des forêts tropicales humides d’Amériques, son habitat ?

Dans certaines région d’Equateur, le paresseux est appelé “Vaca de monte”, ce qui signifie littéralement “Vache de forêts”, un nom on ne peu plus imagé pour ce mammifère herbivore. Paresseux à gorge brune (Bradypus variegatus ephippiger) dans la réserve de Canandé.

 

Six des dix espèces de paresseux décrites par la science, ont survécu à la dernière glaciation et sont encore présentes sur le continent américain, du sud du brésil jusqu’au sud du Mexique. Issu d’ancêtres essentiellement terrestres et pouvant mesurer plus de 6 mètres de long, les Aï, ou paresseux à trois doigts (Bradipodidae) et les Unau, paresseux à deux doigts (Megalonychidae), sont maintenant adaptés à des milieux forestiers tropicaux humides assez distants et différents du milieu originel de ses aïeux, les grandes savanes. Ce sont ces capacités adaptatives qui les rendent si particuliers et qui intéressent grandement les scientifiques, car, s’ils sont encore présents de nos jours, c’est que leur adaptation est d’une efficacité redoutable et recèle d’extraordinaires aptitudes.

La fourrure partiellement olive des folivores (le sous ordre regroupant tous les paresseux) a fait l’objet de récentes études qui ont permis de déceler un cas de symbiose surprenant. Les poils de ces animaux poussent dans le sens contraire de ceux de la grande majorité des autres mammifères, permettant à l’eau de s’écouler lorsqu’ils se trouvent dans leurs positions habituelles, panse au ciel et dos contre terre, à l’horizontale tel des hamacs. La coloration verdâtre de cette toison mimétique est due à la présence d’organismes chlorophylliens (algues vertes) qui, contrairement à ce que l’on croyait, ne joue pas seulement un rôle de camouflage. Au-delà de ces cyanobactéries, une microfaune constituée de lépidoptères, acariens et coléoptères, ont élu domicile bien au chaud dans leurs pelages. Chez certaines espèces, en particulier le paresseux tridactyle (Bradypus tridactylus), des études ont dénombré une interaction avec plus de 1500 insectes pour un seul spécimen.

La couleur vert-olive de la robe de ce Paresseux à deux doigts (Choloepus didactylus) est dû à la présence d’organismes chlorophylliens. Réserve faunistique du Cuyabeno. – Xavier Amigo

 

Mais c’est bel et bien le mutualisme avec certains types de mites qui a attiré l’attention des chercheurs. Ces dernières logent à l’intérieur de la dense fourrure de leurs hôtes qui leur offre un abri sans égal. Les déchets azotés que produisent ces papillons nocturnes aideraient les algues à proliférer sur l’animal. Ce dernier, lors de ses longues toilettes quotidiennes, absorbe avec la langue une grande quantité d’entre elles, riches en lipides. Tout le monde y gagne. Le mutualisme ne s’arrête pas là. Une fois par semaine, lorsque l’Aï descendra au sol pour déféquer, les mites profiterons des excréments pour y pondre leurs œufs. Les larves coprophages donneront vie à une nouvelle génération d’arthropodes qui remontera vers la canopée pour aller à son tour se loger dans le pelage d’un paresseux, perpétuant ainsi ce cycle vertueux.

Les algues ne sont pas le seul apport nutritif de cet animal strictement folivore. Son cou allongé comprenant 9 vertèbres, lui permet une rotation encéphalique de plus de 270 degrés, facilitant de la sorte son régime alimentaire herbivore au sein de la canopée. Mais cette base alimentaire, pauvre en calories et riche en fibres difficilement digestibles, l’a contraint à un rythme de vie « au ralentit ».  Ne vous y méprenez pourtant pas, ses longues griffes acérées lui offre un système de défense très efficace contre la harpie féroce, son principal prédateur avec l’ocelot. Ces derniers exploitent en général les mouvements de leurs proies pour les déceler dans l’épaisse végétation et les attaquer. Le paresseux, de par la lenteur de ses mouvements, arrive parfois à passer inaperçu aux yeux de ses assaillants.

Son camouflage et son rythme lent constituent donc, deux systèmes de défense très efficaces. Mais lorsqu’un arbre n’est plus assez fourni, il lui faudra en changer. Pour cela, une descente au sol est obligatoire, exposant une nouvelle fois le paresseux à de possibles prédateurs. Une autre adaptation évolutive protège cet étrange animal d’infections liées aux blessures d’éventuelles attaques. Son renouvèlement cellulaire serait tout aussi lent que son métabolisme, prolongeant ainsi la mémoire de son système immunitaire qui ralentirait la progression des infections dans l’organisme, tel un vaccin à l’action permanente.

Comme si cela n’était pas suffisant, le paresseux est le réservoir de plusieurs maladies parasitaires très aigües comme la leishmaniose cutanée, entre autres, qu’il transporterait, sans pour autant en être affecté, phénomène appelé phorésie. Il serait ainsi porteur sain de certains de ces parasites. Un bel exemple de mise à disposition d’anticorps pour lutter passivement contre un tas d’attaques pathogènes.

Les paresseux malgré leur air pataud sont d’excellents grimpeurs et d’admirables nageurs. Paresseux à gorge brune (Bradypus variegatus infuscatus) dans la réserve faunistique du Cuyabeno. – Xavier Amigo

 

Forts de ces informations, gardez à l’esprit le mode de vie paisible de notre petit mammifère de la jungle et, plutôt que de renâcler contre le confinement auquel nous sommes tous contraints, essayez d’imiter le paresseux en dormant plus de dix heures par jour, limitez vos déplacements au sein du foyer et adaptez-vous de façon optimale à votre nouveau milieu. Qui sait, tout comme lui, par mimétisme, pourriez-vous peut-être développer une certaine résilience et capacité à réduire l’effet pathogène de certains virus*.

 

*Cette idée saugrenue est un clin d’œil fait à la situation actuelle et doit être prise au second degré. 

 

N.B. : Seules trois des six espèces de paresseux sont présentes sur le territoire Equatorien. Les trois sont confinées aux forêts tropicales humides bases et au contreforts andins. À l’ouest, la sous-espèce du Paresseux à gorge brune, qui est un paresseux a trois doigt (Bradypus variegatus ephippiger) partage le même habitat que les deux sous espèces de l’Unau d’Hoffmann, un paresseux à deux doigts (Choloepus hoffmani augustinus et C. h. capitalis).
En Amazonie c’est la sous espèce orientale du Paresseux à gorge brune (Bradypus variegatus infuscatus) que l’on retrouve dans le même écosystème que l’autre sous-espèce de l’Unau d’Hoffmann (Choloepus hoffmani pallescens) – uniquement présent au sud de la rivière Napo – et avec le Paresseux à deux doigts (Choloepus didactylus) – reparti celui-ci sur la totalité du basin amazonien.

 

Texte: Xavier Amigo / Martin Leberger

Photos : Xavier Amigo

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